Je tire de ma mémoire chaque pas que j’ai fait dans la neige. Les matins éloignés, lorsque le bus scolaire était bloqué et l’école manquée. J’ai dix ans, je fais claquer la porte d’entrée, un bonnet en laine percé sur la tête et des bottes de neige trop grandes pour moi. J’arpente la seule route du village, celle qui serpente et enserre le clocher de granit. On saute par dessus le mur du cimetière, on franchi les tombes à petits pas. Je tiens fermement dans ma main la corde de ma luge verte jusqu’à notre point d’arrivée. C’est là qu’on court essoufflées, le bonnet maintenant de travers, les gants mouillés et les genoux cabossés. On monte, on redescend le minuscule monticule qui me parait plaine, montagne, alpage. Les rires et les jeux ne réveillent pas les dormeurs éternels, enveloppés de leurs manteaux blancs. Quelques mètres plus loins, nos luges se frôlent nos souffles se perdent dans l’air gris et la fumée des cheminées. Je tire de ma mémoire chaque pas que j’ai fait dans la neige. Aujourd’hui je ne sortirai pas la luge verte, je pose la question, depuis longtemps elle a été jetée, avec tout un tas de vieux jouets.